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Marie appelée la Magdaléenne (Marie, Marie-Madeleine)

Site historique consacré à Marie, surnommée "la Magdaléenne" (alias Marie de Magdala, alias Marie-Madeleine)

Marie « la Madeleine » : lecture théologique et fruits spirituels de son identification à la Vierge Marie

Vierge à l’Enfant (Sandro Botticelli : 1444-1445)

Marie « la Madeleine » :
lecture théologique et fruits spirituels de son identification à la Vierge Marie

Par Julien Vitani

« Qui donc est celle qui surgit, semblable à l’aurore, belle autant que la lune, brillante comme le soleil, terrible comme des bataillons ? » Ct 6, 10​​​​​

Introduction

Cet article développe le point de vue d’un fidèle catholique sur la thèse défendue par Thierry Murcia selon laquelle la bienheureuse Vierge Marie, que l’Église appelle l’Immaculée, Nouvelle Ève, Mère de Dieu et Mère auxiliatrice de l’Église, dont elle est aussi la figure et le modèle nuptial par excellence, aurait été désignée en certains passages des Évangiles sous le titre de « La Madeleine », Hè Magdalènè, transcription grecque de termes araméens laudatifs renvoyant à l’idée d’éminence, de grandeur, de magnificence.

Nous poserons en premier lieu le problème des identifications incertaines qui entourent la figure dénommée Marie « la Madeleine » dans les Évangiles. Nous verrons notamment que l’Église n’a émis aucun statut définitif sur l’identité de Marie « la Madeleine ». Puis, en vue d’explorer la thèse de la correspondance entre « la Madeleine » et la Vierge Marie, nous approfondirons l’identité de la seconde – la Vierge Marie – telle qu’elle peut être mise en lumière par les Écritures Saintes et la recherche théologique. Nous exposerons ensuite la thèse de l’identité de la Vierge Marie et de Marie « la Madeleine », défendue par Thierry Murcia dans la Revue des études tardo-antiques (1) et dans son livre Marie-Madeleine : l’insoupçonnable vérité ou Pourquoi Marie-Madeleine ne peut pas avoir été la femme de Jésus (2). Deux obstacles à cette thèse seront alors abordés : le caractère implicite de l’identification des deux Marie dans les Évangiles et l’ombre des « sept démons » dont le Christ aurait libéré Marie « la Madeleine ».

Dans un sixième et un septième temps, nous en viendrons au but et à l’apport espéré de notre recherche, à savoir le sens théologique et les fruits spirituels de l’identification de la Vierge Marie à Marie « la Madeleine ». Nous verrons d’abord que ce qui était un obstacle à cette identification, à savoir l’ombre des « sept démons » de Marie « la Madeleine », est susceptible de devenir au contraire un signe de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie. Nous aboutirons enfin au cœur du sens de l’identité de la Vierge Marie et de Marie « la Madeleine », clef de lecture vivifiante du récit johannique du matin de Pâques.

1. Identités incertaines

L’identification de la pécheresse repentie anonyme du repas chez Simon (Lc 7, 36-50) avec Marie appelée « la Madeleine » (hè Magdalènè) et Marie sœur de Lazare n’est pas plus explicite, dans le Nouveau Testament, que ne l’est l’identité de Marie appelée « la Madeleine ». L’identité de la personne derrière l’appellation « Marie la Madeleine » ne fait d’ailleurs l'objet d’aucun acte définitif de l’Église catholique. Quant à la fête de Sainte-Marie-Madeleine, des Saints ont bien été canonisés au Moyen Âge alors que leur identité était incertaine. Ce qui importait, c’est que le Ciel ait répondu favorablement aux prières de ceux qui mettaient leur foi dans le Christ par l’intermédiaire d’une figure qui, même légendaire, portait quelque chose de vrai et d’universel dans l’union progressive de l’homme à Dieu.

Dans le récent décret pour la célébration commune de Marthe, sa sœur Marie et leur frère Lazare de Béthanie le 29 juillet (3) il n’y a, en fait, pas d’acte définitif sur la question précise de l’identité de Marie appelée « la Madeleine ». Il y a, au contraire, l’évocation de l’incertitude de l’Église latine quant à l’identité de Marie sœur de Marthe et Lazare. Il semble que la forme de la phrase qu’emploie cet archevêque, secrétaire du Cardinal Sarah pour la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, n’a rien de définitif, et que de toute façon, cela revient en dernier lieu au pape de confirmer ou d’infirmer, d’une manière expressément définitive, une thèse relative à la foi et aux mœurs.

Dans les homélies 25 et 33 du pape Grégoire le Grand (4), s’il est vrai qu’il y a assimilation de Marie « la Madeleine », Marie de Béthanie et la pécheresse repentie anonyme, il n’y a cependant aucun acte définitif, aucun propos signifiant expressément qu’il est nécessaire de tenir pour vraie et comme révélée par Dieu l’identification en question, tel que défini par le §891 du catéchisme de l’Église catholique (5). Son propos et son contexte ordinaire correspondent plutôt au §892: « L’assistance divine est encore donnée aux successeurs des apôtres, enseignant en communion avec le successeur de Pierre, et, d’une manière particulière, à l’évêque de Rome, Pasteur de toute l’Église, lorsque, sans arriver à une définition infaillible et sans se prononcer d’une "manière définitive", ils proposent dans l’exercice du Magistère ordinaire un enseignement qui conduit à une meilleure intelligence de la Révélation en matière de foi et de mœurs. »

Par la lecture des Écritures Saintes et par la recherche théologique, l’identité de la Vierge Marie apparaît elle, en revanche, plus connaissable que celle de Marie appelée « la Madeleine ». Pour tester la thèse de Thierry Murcia assimilant ces deux noms en une même personne, nous approfondirons tout d’abord l’identité la plus certaine, celle de la Vierge Marie, ce en vue de la confronter, dans un second temps, à Marie « la Madeleine » telle que celle-ci se manifeste dans l’Évangile.

Pour cela, pour mieux mettre en lumière l’identité de la Vierge Marie, nous nous réfèrerons fréquemment, dans la suite, au Cantique des Cantiques. Car, nous le verrons au fil des citations, comment la Fiancée du Cantique des Cantiques pourrait-elle être la préfiguration d’une autre personne que la Vierge Marie ? Pourquoi donc le Cantique des Cantiques ferait-il partie du canon des Écritures Saintes, si Dieu ne parlait pas à travers lui et s’il ne parlait pas de Dieu ? Et dans ce Cantique, de qui Dieu, à travers la figure du Fiancé, peut-il bien parler lorsqu’il déclare : « LUI : Soixante sont les reines, quatre-vingts, les compagnes, sans nombre, les jeunes filles. Unique est ma colombe, ma parfaite, unique pour sa mère, merveille pour qui l’a mise au monde. » (Ct 6, 8-9) ?

À l’issue de cette lecture croisée de la préfigurée par sa préfiguration, nous nous demanderons enfin si le Cantique des Cantiques ne constituerait pas la clef d’écriture théologique du récit de la rencontre du Ressuscité et de Marie « la Madeleine » dans l’Évangile selon saint Jean.

2. La Vierge Marie, un être unique et tout à Dieu

Mes premières objections à la thèse de Thierry Murcia étaient polarisées par l’incompatibilité ontologique de deux personnes très différentes, la Vierge Marie et la pécheresse-repentie anonyme du repas chez Simon, que je tenais sans preuve, comme beaucoup, pour être Marie appelée « la Madeleine ». Cette opposition radicale vaut, plus largement, entre la Vierge Marie et toute autre personne humaine, puisque, comme l’a proclamé Pie IX au terme d’un mûrissement théologique pluriséculaire (6), la Vierge Marie est la seule personne humaine à avoir été conçue immaculée et – contrairement à Adam et Ève, conçus immaculés à un moment novateur de l’évolution humaine – à l’être restée, jusqu’à sa glorieuse Assomption et au-delà, accomplissant ainsi, dans une synergie continue avec Dieu, une victoire écrasante sur l’antique serpent, tandis que toute autre personne humaine est, tout comme ses géniteurs, dans la duplicité du péché et doit constamment se convertir. « LUI : Tu es toute belle, ô mon amie ! Nulle tache en toi ! » (Ct 4, 7).

Spécialement préservée du mal qui se transmet dans l’être par la génération, selon une grâce « rétroactive » venant des mérites éternels de son Fils sur la Croix, Marie a pu ainsi, en Nouvelle Ève, dire un Oui pleinement libre à Dieu, par toute sa personne, pour toute sa vie et au nom de toute l’humanité qui voudra bien s’unir à l’humanité de son divin Fils.

L’humanité de Jésus, c’est l’humanité que Marie lui a donnée en l’engendrant, c’est cette humanité immaculée, sainte et libre de cette division intérieure que chacun hérite de ses géniteurs et que saint Paul décrit ainsi : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » (Rm 7, 19)

Marie a ainsi transmis son humanité sainte et pleinement libre à son Fils, dont la sainteté et la pleine liberté étaient nécessaires à notre salut dans le don de sa vie par amour pour nous. Dieu le Fils aurait pu concevoir pour lui seul une humanité immaculée sans la recevoir de sa mère, mais il voulait manifestement associer à son œuvre de salut une créature qui soit vraiment sa Mère aussi bien que la nôtre. Car le Christ fonde et agrandit sa famille selon l’amour divin : « Ma mère et mes frères sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. » (Lc 8, 21) et : « Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : Voici ta mère. » (Jn 19, 26-27).

Déjà, le récit de l’Annonciation montre que Marie avait consacré sa virginité, et donc la totalité de sa personne, à Dieu (Lc 1, 26-38). En effet, comment se fait-il que Marie réponde à l’ange : « Comment cela va-t-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? » alors même qu’elle est fiancée à Joseph ? Si elle n’avait pas été vierge consacrée à Dieu, mais qu’elle s’était réservée la possibilité de s’unir charnellement à un homme, elle n’aurait pas posé cette question, mais elle aurait compris que Jésus devra naître de son union avec Joseph auquel elle était fiancée. C’est donc que la virginité de Marie était consacrée à Dieu et que cette consécration devait exclure le don des corps dans un « mariage blanc », qui ne devait garder du mariage que l’amitié conjugale et le soutien mutuel des époux.

Dans le Cantique des Cantiques, le Fiancé (Dieu) dépeint ainsi sa future Épouse : « Jardin fermé, ma sœur fiancée, fontaine close, source scellée. » (Ct 4, 12) « Sœur fiancée » est à la fois l’expression de la commune nature immaculée de Marie et de son Fils (sœur) et des fiançailles spirituelles de Dieu et de Marie par sa consécration virginale (jardin fermé, fontaine close, source scellée), prémisses de leur union définitive à l’Assomption (fiancée).

3. Comment nommer la Mère du Sauveur ?

Quand on pense à son statut de Mère du Sauveur, c’est-à-dire de femme élevée bien au-dessus de toutes les autres femmes, bien, bien au-dessus de la foule immense des Saints dont elle est aussi la Mère, comme n’ont cessé de le proclamer de manière définitive les décrets successifs des papes, on peut admettre qu’il est tout à fait plausible que cet état unique et suréminent lui ait valu une appellation spéciale.

Or, selon la thèse défendue par Thierry Murcia (1), l’appellation « la Madeleine », hè Magdalèné, ne renverrait pas à une origine géographique, mais serait un terme araméen laudatif signifiant « la Grande », « la Magnifiée », « l’Exaltée », « l’Élevée ». Toujours citée par les Évangiles en tête du groupe des femmes qui suivent Jésus au long de sa vie publique et jusqu’à son tombeau, Marie « la Magnifiée » ne serait pas une autre personne que la Marie du Magnificat, qui magnifie Dieu en réponse à son élévation au rang inégalable de Mère du Sauveur : « Désormais tous les âges me diront bienheureuse. » (Lc 1, 48)

Sa cousine Élisabeth et l’enfant qu’elle portait ne s’y étaient pas trompés en exaltant Marie et son Fils : « Or, quand Élisabeth entendit la salutation de Marie, l’enfant tressaillit en elle. Alors, Élisabeth fut remplie d’Esprit Saint, et s’écria d’une voix forte : Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » (Lc 1, 41-43) De même, une femme anonyme, en écoutant Jésus enseigner, éleva la voix du milieu de la foule pour lui dire : « Heureuse la mère qui t’a porté en elle, et dont les seins t’ont nourri ! » (Lc 11, 27)

Dans les usages hébraïques en vigueur au Ier siècle, l’appellation d’une femme ne la rattache jamais à un lieu, mais toujours à un ou plusieurs hommes par des liens familiaux : épouse, sœur, mère. Maria hè Magdalèné ne signifie donc pas « Marie de Magdala » mais « Marie la Magnifiée », « Marie l’Exaltée » au sens de « Marie Élevée au-dessus de toutes les femmes » en raison de sa maternité sans pareille. De telles appellations viennent spontanément aux lèvres de quiconque, inspiré par l’Esprit Saint, reconnaît qui est Jésus, le Christ, le Fils du Dieu vivant, Seigneur et Sauveur : c’est ce que fit sa cousine Elisabeth, c’est ce que reconnut Marie dans son Magnificat, ainsi que la femme anonyme qui, du milieu de la foule, déclare bienheureuse la Mère de Jésus. « Les jeunes filles l’ont vue, l’ont dite bienheureuse ; reines et compagnes ont chanté ses louanges. » (Ct 6, 9)

Maria hè Magdalèné peut, certes, dans l’absolu, aussi se traduire par « Marie la Tour », puisque le terme araméen sous-jacent peut également servir à désigner une tour en tant qu’élévation.

Le Christ est la Tête, l’Église est le Corps (Col 1, 18). Marie, l’Immaculée, Épouse de Dieu, Élevée au plus près de la Tête, au-dessus du Corps, est le Cou, la Tour, Cou qui nourrit le Corps des grâces venues de la Tête, de la Bouche, du Verbe, Tour redoutable, inviolée, imprenable, qui garde et défend de tous ses ennemis le Peuple de Dieu. « Ton cou : la tour de David, harmonieusement élevée ; mille boucliers sont suspendus, toutes les armes des braves. » (Ct 4, 4)

Harmonieusement élevée : voilà qui décrit à merveille la bienheureuse Vierge Marie, hè Magdalènè, terme qui peut donc aussi bien renvoyer aussi bien à une élévation construite, comme une tour, qu’à l’idée de grandeur, de magnificence, d’avoir été majestueusement élevée bien au-dessus du commun. « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » (Lc 1, 45)

4. Reconnaissances à rebours

Quant au fait que, dans les Évangiles, l’identité entre la mère du Sauveur (qui semble disparaître après la Croix) et « Marie la Madeleine » (qui se manifeste particulièrement en initiant la chaîne des témoins de la Résurrection) n’aurait pas été explicite, cela peut tenir à plusieurs raisons. D’une part, pour protéger la Vierge Marie des Judéens, qui auraient pu la lapider par détestation de son Fils et en prétextant un adultère. D’autre part, par prise en compte du fait que le témoignage d’une femme, a fortiori d’une proche parente du condamné, a fortiori de la mère du condamné, n’aurait eu que peu de crédit aux yeux des destinataires de la Bonne Nouvelle.

Les hommes d’alors ont du mal avec le témoignage des femmes, d’ailleurs il n’était pas convenable pour un homme de discuter longtemps avec une femme : « À ce moment-là, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme » (Jn 4, 27). Les mêmes disciples et Apôtres seront réticents à croire le témoignage de la Madeleine et des autres femmes ayant vu les premières le Ressuscité au matin de Pâques : « Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » (Luc 24, 11)

Ils magnifiaient Marie à cause de son Fils qu’ils tenaient pour être le Sauveur d’Israël ; mais dès lors que son Fils est mort, vaincu, écrasé, disparu, la raison pour laquelle ils magnifiaient Marie s’estompe et ils ne la croient pas elle non plus : ils ne la croiront et ne l’estimeront à nouveau que lorsqu’ils auront vu, entendu et touché Jésus ressuscité de leurs propres yeux, de leurs propres oreilles et de leurs propres mains. Il semble bien que la reconnaissance et la louange de Marie soient intégralement dépendantes de la reconnaissance et de la louange du Sauveur et de la compréhension du sens spirituel et universel et non pas mondain et partisan de son Salut.

Prenant en compte ces obstacles humains, mais tenu d’écrire la réalité de ce qu’il a vu au Calvaire et entendu de sa mère adoptive, saint Jean l’Évangéliste a à la fois dissimulé et signifié Marie la Magnifiée au moyen d’un chiasme littéraire, un croisement de deux Marie, analogue au chiasme adoptif de Jacob avec les deux fils de Joseph (7). Selon ce chiasme, il n'y a en fait que deux femmes tout près de la Croix : Marie Mère de Jésus, et Marie sa sœur ou belle-sœur, femme d’un certain Clopas, frère de Joseph de Nazareth.

5. L’ombre des « sept démons »

Et si l’assimilation infondée de Marie « la Madeleine » à la pécheresse repentie était avant tout la projection des membres de l’Église terrestre de leur propre état pécheur sur leur propre réception de la Bonne Nouvelle du matin de Pâques ? Et ce, par besoin, dans le cours de notre conversion, de nourrir notre âme d’une figure archétypale de l’âme pécheresse mais convertie et sauvée par le Christ : « Marie-Madeleine ».

Attendez ! Marie-Madeleine, n’est-ce pas celle que Jésus a libéré de « sept démons » ? (Lc 8, 2 ; Mc 16, 9) Le nombre sept indique la perfection du mal ! C’est bien que Jésus a libéré Marie « la Madeleine » de la plénitude du mal ! Or, selon l’Église, il n’y a dans l’être de la Vierge Marie, aucune ombre, aucune trace du péché, depuis sa conception, durant toute sa vie terrestre et pour toujours. Comment donc la Vierge Marie pourrait-elle être « la Madeleine » ? La « Madeleine » est avant tout désignée par Luc et Marc comme étant celle dont Jésus a expulsé « sept démons » !

Dans l’Orient ancien, une maladie, se manifestant notamment par une forte fièvre, pouvait être personnifiée, voire, dans les cas les plus graves, appelée « sept démons » (2). Ainsi, le récit de la guérison de la forte fièvre de la belle-mère de Pierre par Jésus est présent dans les trois Évangiles de Matthieu, Marc et Luc (Mt 8, 14-15 ; Mc 1, 29-31 ; Lc 38-39). Dans les deux premiers Évangiles, Jésus prend simplement la malade par la main et la fièvre la quitte. Mais dans l’Évangile de Luc, Jésus ne prend pas la malade par la main, mais menace personnellement la fièvre « et la fièvre la quitta » (Lc 4, 39). C’est un indice parmi d’autres que Luc est l’Évangéliste qui personnifie le plus les maladies physiques et qui les associe ou les confond le plus souvent avec des esprits malins, comme cela avait souvent cours à l’époque. Il serait donc imprudent de considérer les « sept démons » de Marie « la Madeleine » comme étant un grand mal spirituel, alors qu’il pouvait s’agir d’un grand mal physique.

Outre Luc (8, 2), seul Marc mentionne l’expulsion des « sept démons » de Marie « la Madeleine » par Jésus (Mc 16, 9). Or il s’agit-là de la finale de Marc, dont la rédaction est bien postérieure au reste de son Évangile. Luc apparaît ainsi comme l’initiateur de cette interprétation, reprise tardivement par Marc. Or, le fait que Luc soit l’initiateur de cette interprétation et que celle-ci soit absente des autres Évangiles (hormis la finale tardive de Marc) rend probable le fait qu’il se fût agi, non pas d’un mal spirituel, mais d’une maladie grave à forte fièvre dont Jésus eût guéri sa Mère.

6. Erreur dans le fond, vérité dans la forme

Pourquoi Dieu aurait-il laissé cette erreur d’interprétation dans l’Évangile selon saint Luc ? Si cette erreur d’interprétation a un sens, si elle est inspirée par Dieu pour porter du fruit comme le reste de l’Écriture Sainte, cela a pu être en vue des fruits spirituels de conversion et d’imitation que porta sans aucun doute chez de nombreux fidèles l’assimilation de Marie « la Madeleine » à une pécheresse repentie, pardonnée et sauvée par le Christ.

Nous voyons une autre possibilité, cohérente avec la thèse de Thierry Murcia identifiant la « Madeleine » à la Vierge Marie. L’expulsion de ces « sept démons » est une guérison d’une maladie grave qui fut rendue par cette expression archétypale pour – malgré le rédacteur – signifier l’Immaculée Conception. La guérison physique de Marie par Jésus de tout mal biologique pouvant entraîner la mort est le signe et la continuité logique de la grâce de sa préservation de tout mal spirituel à sa conception immaculée dans le sein d’Anne.

Car si la mort existe, c’est à cause du mal qui est dans nos cœurs : à quoi ressemblerait le monde si la mort ne nous limitait pas ? Au cœur pardonné ou au cœur juste, en revanche, revient la vie éternelle, et ce par la grâce surnaturelle qui étend en toute justice ou en toute miséricorde les limites de la nature. C’est pourquoi il était juste que les limites biologiques de la Très-Sainte Vierge Marie, l’Immaculée, soient étendues en vue de lui donner la vie éternelle en temps voulu, à sa glorieuse Assomption, qui ne pouvait, en toute cohérence, avoir lieu qu’après la Passion, la Résurrection et l’Ascension de son Fils et qu’après sa participation maternelle à la fondation de l’Église. Sur le chemin, Marie devait être préservée de tout mal biologique pouvant entraîner la mort, par amour, non selon la miséricorde, mais selon la justice à l’égard de son état de sainteté continue.

« Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose à l’ombre du Puissant, je dis au Seigneur : Mon refuge, mon rempart, mon Dieu, dont je suis sûr ! C’est lui qui te sauve des filets du chasseur et de la peste maléfique (…). Le malheur ne pourra te toucher, ni le danger, approcher de ta demeure : il donne mission à ses anges de te garder sur tous tes chemins. Ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ; tu marcheras sur la vipère et le scorpion, tu écraseras le lion et le Dragon. » Ps 90, 1-3 et 10-13

Ainsi, si l’expression « sept démons » de Luc est une erreur d’interprétation dans son fond, dans sa forme, elle renvoie, même imparfaitement, à une vérité : celle de la nature immaculée de la Vierge Marie, préservée du mal spirituel dès sa conception dans le sein de sa mère. C’est ainsi que Caïphe, en condamnant Jésus à mort, était, au fond de sa pensée, dans l’erreur ; et cependant, ses propos, mis en forme par l’Esprit Saint, exprimait une vérité :

« Alors, l’un d’entre eux, Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, leur dit : Vous n’y comprenez rien ; vous ne voyez pas quel est votre intérêt : il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. Ce qu’il disait là ne venait pas de lui-même ; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation ; et ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. » Jn 11, 49-52

La guérison de sa propre Mère, le divin médecin l’a donc accomplie aussi bien par amour pour elle que par justice, mais aussi pour ce qu’elle avait encore à accomplir en tant que Mère de l’Église naissante : en premier lieu l’annonce vivifiante de la Résurrection aux Apôtres enfuis, incrédules et comme morts.

7. Marie la Magnifiée, clef de lecture vivifiante du matin de Pâques

L’identité de Marie « la Madeleine » et de la Vierge Marie serait-elle la clef d’interprétation théologique du récit de la Résurrection par saint Jean l’Évangéliste, le disciple bien-aimé ? (Jn 20, 1-18) Cette clef donne un sens nouveau et, pour ainsi dire, plénier à l’écho manifeste entre le récit johannique du matin du Pâques et le Cantique des Cantiques, en lequel la Fiancée est tourmentée par les allers et venues du Fiancé, qui était là, qui n’est plus là, et qui est de nouveau là… La ressemblance entre la Fiancée du Cantique et Marie la Magnifiée est si frappante qu’elle ne peut être que le fruit d’une intention théologique de l’Évangéliste :

« ELLE : Sur mon lit, la nuit, j’ai cherché celui que mon âme désire ; je l’ai cherché ; je ne l’ai pas trouvé. Oui, je me lèverai, je tournerai dans la ville, par les rues et les places : je chercherai celui que mon âme désire ; je l’ai cherché ; je ne l’ai pas trouvé. Ils m’ont trouvée, les gardes, eux qui tournent dans la ville : Celui que mon âme désire, l’auriez-vous vu ? À peine les avais-je dépassés, j’ai trouvé celui que mon âme désire : je l’ai saisi et ne le lâcherai pas que je l’aie fait entrer dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a conçue. » Ct 3, 1-4

« Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. (…) Marie Madeleine se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc, assis l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus. Ils lui demandent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répond : On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé. Ayant dit cela, elle se retourna ; elle aperçoit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. Jésus lui dit alors : Marie ! S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : Rabbouni !, c’est-à-dire : Maître. Jésus reprend : Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. Marie Madeleine s’en va donc annoncer aux disciples : J’ai vu le Seigneur !, et elle raconta ce qu’il lui avait dit. » Jn 20, 1-2 et 11-18

Dans les deux textes, c’est la nuit que la Fiancée cherche son futur Époux. La Bien-Aimée du Cantique se lève, cherche et tourne dans les rues. Marie « la Madeleine » se penche vers le tombeau, puis se retourne par deux fois vers Jésus avant de le reconnaître. Ce n’est qu’après avoir dépassé les gardes que la Fiancée retrouve son Bien-Aimé. Ce n’est qu’après avoir rencontré les anges qui gardaient le tombeau que Marie « la Madeleine » retrouve Jésus. Dans le Cantique des Cantiques, les aromates, les jardins et leurs senteurs sont omniprésents. Avec les autres femmes, Marie « la Madeleine » avait préparé des aromates pour les derniers soins funéraires (Lc 24, 1-10) ; quand elle rencontre Jésus, elle le prend pour le jardinier (Jn 20, 15). La référence du récit johannique de la Résurrection au Cantique des Cantiques apparaît ainsi clairement à travers toutes ces ressemblances entre Marie « la Madeleine » et la Fiancée du Cantique.

« Je l’ai saisi et ne le lâcherai pas que je l’aie fait entrer dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a conçue. » (Ct 3, 4). Cette chambre nuptiale où fut conçue la Fiancée du Cantique, c’est l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, état de justice, de sainteté et de charité qui donne à l’âme humaine la plus parfaite ressemblance à Dieu et la rend ainsi capable de l’union définitive avec lui. À nous qui trébuchons, la grâce d’une nouvelle naissance en Dieu est donnée graduellement par le Christ comme une assimilation progressive. À Marie, Dieu a fait la grâce de la sainteté dès sa conception immaculée et elle l’a faite fructifier en synergie avec lui tout au long de sa vie.

Le matin de Pâques devient ainsi la pure, simple et parfaite incarnation du Cantique des Cantiques, et ce, du début jusqu’à la fin : « Fuis, mon bien-aimé, pareil à la gazelle, au faon de la biche, sur les montagnes embaumées... » (Ct 8, 14 : fin du Cantique des Cantiques et dernières paroles de la Bien-Aimée) est l’exact répondant marial de la parole du Ressuscité à Marie « la Madeleine » : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Va trouver mes frères pour leur dire que je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. » (Jn 20, 17) et « Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. » (Mt 28, 16).

Marie « la Madeleine » peut-elle ne pas être un écho de la Fiancée du Cantique dans le récit johannique ? La Fiancée du Cantique peut-elle être la préfiguration d’une autre personne que la Vierge Marie ? Pourquoi la Vierge Marie ne se serait-elle pas rendue au tombeau de son Fils pour lui rendre les derniers hommages ? Une pécheresse convertie se serait rendue la première au tombeau du Christ pour lui donner les ultimes soins funéraires, mais non pas sa mère, qui est aussi celle qui aime et désire Dieu de tout son Cœur immaculé ?

Si la thèse défendue par Thierry Murcia est donc bien vraie, c’est renversant. C’est bien Marie Immaculée, la Nouvelle Ève, qui est le premier témoin de la Résurrection du Nouvel Adam, le jardinier du nouvel Éden. Que la Vierge Marie soit le premier témoin de la Résurrection, il s’agit là d’une tradition très ancienne et toujours présente en Orient et, dans une moindre mesure, en Occident. Mais bien souvent, en raison de l’identification de Marie la Magnifiée à Marie sœur de Lazare de Béthanie et à la pécheresse anonyme par l’entremise de parfums, cette tradition, fondée sur le témoignage même de la Mère du Sauveur aux Apôtres, a dû survivre indépendamment du texte évangélique interprété selon ladite identification.

C’est renversant mais de manière éminemment positive. En effet, la Vierge Marie est la Sainte la plus priée au monde, elle qui a donné son propre Fils pour nous sauver. Et non seulement elle n’a pas gardé son Fils pour elle, mais, sur la demande même de son Fils tué par ses frères, elle reçoit aussi, pour enfants, la multitude des hommes de toute la terre. « Les fils de ma mère se sont fâchés contre moi : ils m’ont mise à garder les vignes. Ma vigne, la mienne, je ne l’ai pas gardée… » (Ct 1, 6)

Des millions de personnes vivent ainsi avec elle chaque jour comme avec leur propre mère, à la suite du disciple bien-aimé. Et si c’est donc cette personne si familière qui est le premier témoin de la Résurrection, si c’est bien Marie la Magnifiée des récits très vivants du matin de Pâques, alors cette même Résurrection viendrait tout à coup au premier plan dans l’esprit et le quotidien de ces millions de personnes, et ce, via leur relation continue à la Vierge Marie. Le récit évangélique de la Résurrection et son annonce au monde seraient vivifiés par la personne immaculée de la Vierge Marie, Nouvelle Ève de la nouvelle humanité, génitrice avec Dieu fait homme des origines nouvelles et éternelles, Mère de la vie éternelle du monde à venir, qui a commencé d’exister au matin de Pâques.

Mère de l’Église, Marie la Magnifiée le fut très concrètement dès les aurores de ce nouveau monde que fut le matin de Pâques. Sa première action génitrice en tant que mère du « disciple bien-aimé » et de toute l’Église, ce fut d’être le premier témoin de la Résurrection et de l’annoncer aux Apôtres. Car c’est bien cette annonce qui engendre la foi de l’Église et vivifie l’Église elle-même : « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine » (1 Co 15, 17). C’est l’annonce de la Résurrection qui engendre et nourrit l’Église, c’est pourquoi c’était à la Vierge Marie, Mère du « disciple bien-aimé » et par lui de toute l’Église (Jn 19, 27), de recevoir et transmettre la première la Bonne Nouvelle du matin du Pâques, et d’engendrer ainsi l’Église par sa parole.

Ensuite aux hommes de prendre le relais pour convaincre un monde d’hommes souvent plus enclin à écouter la parole des hommes que des femmes… Pourtant les faits sont là : c’est la parole d’une femme qui, à l’Annonciation, en épousant la volonté de Dieu, a engendré le Dieu fait homme. Et c’est la parole de cette même femme, notre Avocate et notre Mère, qui, depuis son intercession aux Noces de Cana et son apostolat à la Résurrection, continue d’engendrer Dieu en l’homme et l’homme en Dieu, maintenant et pour toujours.

Julien Vitani, le 08/12/2022

 

Références

(1) Thierry Murcia, « Marie de Magdala et la Mère de Jésus », Revue des études tardo-antiques, Supplément 6, 2018-2019, p. 47-69 :         
https://www.academia.edu/38367022/_Marie_de_Magdala_et_la_m%C3%A8re_de_J%C3%A9sus_Revue_des_%C3%89tudes_Tardo-antiques_Suppl%C3%A9ment_6_2018-2019_p._47-69

(2) Thierry Murcia, Marie-Madeleine : l’insoupçonnable vérité ou Pourquoi Marie-Madeleine ne peut pas avoir été la femme de Jésus, Propos recueillis par Nicolas Koberich, La Vie des Classiques (éditions les Belles Lettres), 2017 ; Extrait, p. 64-70 : « Les sept démons de Marie de Magdala » : https://marie-la-magdaleenne.over-blog.com/2018/04/les-sept-demons-de-marie-de-magdala.html

(3) Cardinal Robert Sarah, Décret sur la célébration des saintes Marthe, Marie et saint Lazare dans le Calendrier Romain Général :
https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/ccdds/documents/rc_con_ccdds_doc_20210126_decreto-santi_fr.html

(4) Saint Grégoire le Grand, Homélies sur les Évangiles, Livre II, Homélies 25 et 33 : https://www.mariemadeleine.fr/wp-content/uploads/2018/11/Sermons-25-et-33-St-gregoire-le-grand.pdf

(5) Catéchisme de l’Église catholique, §891 et 892 :
https://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P24.HTM

(6) Constitution apostolique Ineffabilis Deus du Bienheureux Pape Pie IX pour la définition et la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception le 8 décembre 1854 : http://www.icrsp.org/Saints-Patrons/Christ-Roi-Immaculee-Conception/Ineffabilis_Deus_Pie_IX.htm

(7) Thierry Murcia, Marie-Madeleine : l’insoupçonnable vérité ou Pourquoi Marie-Madeleine ne peut pas avoir été la femme de Jésus, Propos recueillis par Nicolas Koberich, La Vie des Classiques (éditions les Belles Lettres), 2017 ; Extrait, p. 59-61 : « La source de Jean » : https://marie-la-magdaleenne.over-blog.com/2018/04/le-chiasme-johannique-la-source-de-jean.html

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