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Marie appelée la Magdaléenne (Marie, Marie-Madeleine)

Site historique consacré à Marie, surnommée "la Magdaléenne" (alias Marie de Magdala, alias Marie-Madeleine)

Pourquoi Marie-Madeleine est-elle parfois représentée enceinte (1/2) : Marie-Madeleine et Jean-Baptiste

Marie-Madeleine enceinte de Jésus ? (4e volet)

Vierge à l’enfant avec saints : Jean-Baptiste, Marie-Madeleine, sainte Anne, Guiseppe Cesari (c. 1595)

Marie-Madeleine enceinte de Jésus ? (1er volet)

Marie-Madeleine ou Marie l’Égyptienne ?

Marie-Madeleine enceinte de Jésus ? (2e volet)

La Vierge Marie, la femme de l’Apocalypse et la femme adultère

Marie-Madeleine enceinte de Jésus ? (3e volet)

Gravide ou opulente ?

Marie-Madeleine enceinte de Jésus ? (4e volet)

Pourquoi Marie-Madeleine est-elle parfois représentée enceinte ? (1/2) :

1) Marie-Madeleine et Jean-Baptiste

Contrairement aux œuvres examinées dans les 3 volets précédents consacrés au même thème (Marie-Madeleine enceinte de Jésus ?), d’autres images – médiévales et postérieures – mises en ligne et présentant “Marie-Madeleine enceinte” sont difficilement contestables. Même si celles-ci ne sont pas toujours sourcées, force est de reconnaître ici que : 

  1. C’est bien de Marie-Madeleine dont il s’agit.
  2. Elle est effectivement enceinte.

En voici trois exemples, mais nous en verrons d’autres :

 

De là toutefois à conclure que l’artiste a voulu signifier que la Madeleine était enceinte de Jésus, il y a très loin ! Reste qu’il convient de tenter d’expliquer ce qui peut nous sembler une incongruité. Qu’a donc voulu signifier l’artiste ?

Pour le savoir, il est nécessaire de pouvoir examiner chaque œuvre dans son intégralité, d’en connaître l’origine et de la confronter à d’autres réalisations de la même époque afin de pouvoir la replacer dans son contexte historique et religieux.

Une fois les œuvres identifiées et appréhendées dans leur totalité on constate que celles-ci ont deux points en commun :

  1. Marie-Madeleine est enceinte (ou paraît l’être).
  2. Jean le Baptiste est également présent.

Jean-Baptiste, Marie-Madeleine, Jacques le Mineur et Paul, Pere Serra (c. 1385)

Annonciation et saints, Giovanni dal ponte (c. 1430)

La partie centrale de l’image illustre l’épisode évangélique de l’Annonciation relaté en Luc 1, 26-38. Dans la partie droite : Marie-Madeleine, vêtue de rouge, tête découverte et les cheveux longs dénoués. Elle tient dans la main droite le pot à onguent. Dans la partie gauche : Jean-Baptiste, vêtu d’une tunique et d’une mélote en poils (de chameau, d’après les évangiles)[1]. Il tient dans la main gauche un long bâton cruciforme[2] et un phylactère[3] sur lequel est inscrit, en latin : “Voici l’agneau de Dieu” (Ecce agnus Dei), par référence à Jean 1, 36.

On n’aura pas manqué d’observer, en passant, que la Madeleine est enceinte alors que Jésus, lui, n’est pas encore né. De même, le Baptiste est adulte alors que, lors de l’Annonciation, il n’est, lui non plus, pas censé être né. Il n’y a pourtant pas d’anachronisme : les deux figures n’ont ici qu’une fonction symbolique.

Dans de nombreuses peintures, du XIVe au XVIe siècle, la Madeleine et le Baptiste sont présentés ensemble, comme sur ce panneau droit d’un triptyque (aujourd’hui démembré), en bois de peuplier, conservé au musée du Petit Palais à Avignon[4]


[1] Matthieu 3, 4 ; Marc 1, 6.

[2] En roseau, par référence à Matthieu 11, 7 ; Luc 7, 24.

[3] L’ancêtre médiéval de nos bulles de bandes dessinées modernes. On appelle phylactères les petites banderoles utilisées au moyen âge (et à la Renaissance) sur laquelle sont inscrites les paroles prononcées par les personnages représentés (ici Jean-Baptiste et l’ange Gabriel). Les phylactères étaient fréquemment utilisés dans les représentations de l’Annonciation, comme c’est le cas ici.

[4] Sur un site faisant la promotion du livre de Simcha Jacobovici et de Barrie Wilson, frauduleusement intitulé L’Évangile oublié : Le texte qui révèle le mariage de Jésus et de Marie Madeleine, cette même image, coupée et recadrée pour ne laisser voir que les têtes, est assortie du commentaire suivant : “Jésus a épousé la prostituée Marie-Madeleine et a eu des enfants”.

Saint Jean-Baptiste et sainte Madeleine, Angelo Puccinelli (c. 1370)

La plupart du temps, le Baptiste se tient à gauche et la Madeleine à droite et elle paraît être enceinte – comme ici – mais ce n’est pas toujours le cas[1]. Et, le plus souvent, notre binôme encadre une Vierge à l’enfant, comme nous le voyons ci-dessous.


[1] Dans les œuvres artistiques, la gauche peut signifier le passé, la droite l’avenir.

 

Parfois d’autres personnages sont également présents. Ici, saint Pierre, à gauche (derrière le Baptiste), détenteur des clés d’or et d’argent, symboles des pouvoirs spirituel et temporel. Et, à droite, derrière la Madeleine (visiblement enceinte), saint Dominique (tunique blanche, manteau noir, lys blanc et livre ouvert).

Vierge à l’enfant avec saints, Marco Palmezzano (1493)

Sur ce retable peint par Botticelli, six personnages entourent la Vierge à l’enfant. Debout, à gauche, Marie-Madeleine et Jean-Baptiste. À droite, sainte Catherine (couronnée, vêtue de pourpre, une main sur la roue de son supplice) et saint François (bure marron et croix). Au premier plan, agenouillés, les saints jumeaux Cosme et Damien, patrons des Médicis (il s’agit vraisemblablement ici des portraits de Laurent le Magnifique et de son frère Giuliano). La Madeleine paraît être enceinte mais sainte Catherine également.

Vierge à l’Enfant avec saints, Botticelli (c. 1470)

Sur cette toile de Fogolino, la Vierge à l’enfant est également entourée de six personnages. Debout, au premier plan, à gauche : sainte Catherine (vêtue de pourpre et d’or, la palme des martyrs dans sa dextre). Derrière elle : François d’Assise (bure marron et stigmates) et Jean-Baptiste. À droite : Marie-Madeleine (tenant le pot à aromates). Derrière elle : Antoine de Padoue (vêtu d’une bure franciscaine, un lys blanc dans la main droite, un livre dans la gauche) et Jean l’évangéliste. Les deux saintes paraissent toutes deux être enceintes.

Vierge à l’Enfant avec saints, Marcello Fogolino (c. 1510-1520)

Quel sens donner à ces diverses représentations ? Pour les artistes médiévaux et de la Renaissance, Marie-Madeleine n’est ni la compagne sexuelle de Jésus ni sa mère. La plupart la confondent alors avec la pécheresse anonyme mentionnée en Luc VII et la considèrent comme une ex-prostituée repentie. Mais ce n’est pas cet aspect du personnage qu’ils ont voulu mettre en exergue lorsqu’elle est associée à Jean-Baptiste et – de façon explicite ou implicite – à la Vierge à l’enfant.

Le Baptiste est le précurseur. Il précède et annonce la venue du Messie. Son long bâton cruciforme et son phylactère – sur lequel apparaît la formule bien connue “Voici l’agneau de Dieu [qui ôte le péché du monde]” [1] – sont là pour le rappeler. Il désigne l’enfant comme étant cet agneau divin. Mais, ce faisant, il annonce aussi sa mort (l’agneau sera sacrifié). Une mort qui est aussi la clé du salut.

Présente au Calvaire et au sépulcre, Marie-Madeleine, qui porte le pot à onguent, annonce, elle aussi, la mort du Christ[2]. Mais elle est surtout et avant tout la première, d’après les évangiles, à qui Jésus est apparu (Jean 20, 11-17 ; Marc 16, 9). Et, apôtre des apôtres, elle est également la première à témoigner de sa résurrection (Jean 20, 18, Marc 16, 10-11). Ève était “la mère des vivants”. En tant que premier témoin, Marie-Madeleine partage, avec la mère de Jésus, le statut de “nouvelle Ève”. Elle devient, conjointement avec elle, la mère des croyants, de ceux et celles “qui reçoivent la vie avec Jésus”. C’est la raison pour laquelle, lorsqu’elle est associée à Jean-Baptiste, elle paraît être enceinte – une grossesse symbolique – dans les œuvres médiévales et postérieures, plus spécialement lorsqu’elle encadre, avec lui, une Vierge à l’enfant :

  • Marie est celle qui a, physiquement, porté et donné naissance à Jésus.
  • Le Baptiste, premier héraut, est celui qui annonce la venue du Christ.
  • La Madeleine, second héraut, celle qui annonce sa résurrection. Ce faisant, elle porte et donne spirituellement naissance à tous ceux qui ont cru.

“De même que, par la bienheureuse toujours Vierge Marie, l’espoir du monde est incomparable, les portes du paradis nous sont ouvertes et la malédiction d’Ève est rejetée ; ainsi, par la bienheureuse Marie-Madeleine, l’opprobre du sexe féminin est rejeté et la splendeur de notre résurrection dans la résurrection du Seigneur est née, offerte par elle.”

Odon de Cluny, Sermon en l’honneur de sainte Marie-Madeleine

 

Thierry Murcia, PhD,

Avril 2020

Centre Paul-Albert Février (TDMAM-UMR 7297 / Aix-Marseille Université – CNRS)


[1] Ecce agnus Dei qui tollit peccata mundi : le plus souvent seuls les premiers mots sont visibles.

[2] D’où son expression de profonde tristesse sur le tableau de Cornelis Engebrechtsz (1468-1527).

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Marie-Madeleine enceinte de Jésus ? (5e volet)

Pourquoi Marie-Madeleine est-elle parfois représentée enceinte (2/2) :

2) Enceinte car pécheresse présumée

Voir également :

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